Manakara, deuxième !
Il y a deux ans on avait oublié Jojo à Manakara. Ou plutôt IL s'était oublié à Manakara. J'avais pris le train seul pendant 24 heures, à cause d'un petit déraillement, après quelques jours rock n' roll riches en éthanol. On ne s'était revu que deux semaines plus tard, à Antsirabe. Après enquête sur place, aucune trace ne subsiste encore de ce passage. Heureusement. Il faut dire que c'est avec bonheur mais avec une légère appréhension que je retournais dans cette ville au bord de l'océan indien, qu'on peut rejoindre par train en partant des hauts plateaux. Trajet magnifique, un peu long sur la fin, sur lequel tout peut arriver.
C'est donc incognito que nous avons pu apprécier ce séjour les pieds dans le sable et l'allemand assis à mes côtés dans ce train retour en est bien heureux, lui qui a déjà eu la joie de cuver son rhum dans les geôles Manakaraises, un soir obscur où il respirait la suspicion. Il faut dire qu'il est vraiment suspect cet allemand. Au premier jour du périple déjà, à Fianarantsoa, lieu de ralliement de l'expédition, j'avais trouvé quelques signes annonciateur d'une germanitude montante pendant le séjour. Là, dans ce train retour, il lit Brautigan, ce qui lui donne définitivement l'air louche. Pas pire que ces autres, là, sur les sièges d'à côté, que j'observe secoué à la fois par les mouvements du train et Back in Black, que j'ai dans les oreilles. En chœur, ils sortent leurs gros objectifs au moindre signe de misère, appuient sur les boutons, regardent, sourient, se plaignent, font coucou avec leurs mains, par dessus les vitres du wagon. Ils sont contents. Ils sont cons. Tout à l'heure ils distribueront des crayons dans les villages. Trois ou quatre stylos pour une ribambelle de gamins qui assureront le spectacle en se marchant dessus, tombant dans la boue (il pleut aujourd'hui), tirant sur le maudit crayon par les deux bouts pour se l'approprier. "Tu as vu comme ils se battent ?". Connasse. Et vas-y que je te photographie tout ça... Au prochain arrêt, on vivra la même certainement. Mais on est d'accord avec l'allemand, cette fois-ci on récupère tout avant le drame, crayons, appareils photos, appareils dentaires mêmes, pourquoi pas?, pour les leur carrer dans le... L'allemand, lui, en prime rajouterait bien la bouteille de bière qu'il vient de lyncher. Rigole pas l'allemand, encore moins avec la bière. C'est d'ailleurs ce qui m'a permis de lever tous mes doutes à son égard, quand à l'aller, dans chacun des villages où le serpent métallique s'arrêtait, il courait parmi les cases à la recherche de quelques litres du breuvage malté. Aussitôt décapsulées, aussitôt vides. Un rythme de Munichois en octobre. Toujours difficile de savoir ce qu'il a dans la tête mais on devine vite, très vite, ce qu'il a dans le sang. La route de Salina que chante Christophe flotte quelque part dans entre mes oreilles et me rappelle le précédent raid à Manakara. Je ne sais pas quelle douce mélodie allemande pourrait symboliser ce dernier séjour là-bas, je comptais sur mon acolyte teuton pour me guider mais je ne suis pas certain d'être éclaire de suite. Actuellement, il se frotte l'arrière train sur une barre de soutien, en équilibre sur le marche pied. Il faut chercher la raison de cette curieuse pratique dans sa rencontre avec des lémuriens, la veille, qui mettaient un point d'honneur à marquer leur territoire dans les arbres de cette manière. Cet allemand est sauvage, me dis je, en me remémorant ces cinq dernières journées passées en sa compagnie. Mister Fritz, comme on s'est plu à le surnommer, les a égayées par sa bonne humeur, ses jeux de mots sauce "berlin est", son amour de la bière et du ridicule. Le guide piroguier Mosa avec qui nous avons vogué sur le canal des pangalanes n'aurait pu rêver plus authentique touriste allemand : casquette protège nuque vissée en haut de son mètre quatre vingt dix, lunettes de soleil orangées et profilées, marcel, short, et tongs au couleur de son pays dans la main. J'espérais la complète chaussettes-sandalettes, mais déception, il n'ira pas jusque là. Manque de préparation je pense. Dommage, une peau blanche comme une mousse de bière et des courts cheveux blonds version Pilsener terminaient le portrait de la meilleure des façons. Quand on a vu ça, on peut aborder le choc des cultures sans aucun soucis, je vous assure.
Une balade en pirogue, patauger dans l'eau, manger au resto où regarder un match de foot sont autant d'occasions pour lui de mettre an avant des qualités sociales et intellectuelles qui font de lui le compagnon idéal de vos vacances. La commande d'un steak Fritz est quelque chose d'inoubliable, je vous prie de me croire!, une nuit dans la même chambre que cet homme au ronflement façon tyrolien et aux romantiques flatulences est un moment fort en échange. Avec lui le taux de conneries/minute explosent souvent hors de portée des sommets. Vivre un Autriche-Pologne avec ce mec est assez flippant. La France a perdu Ribéry?, on a gagné Mister Fritz !"Ich Liebe Dich" qu'il dit. Ouais, ben...doucement quand même pépère !! Il aime les animaux aussi. Quand il déclare vouloir se "faire un canard", le doute s'installe immédiatement dans votre esprit tellement cela est dit avec envie et énergie mais à la fois on perçoit une retenue nerveuse inquiétante et des tics apparaissent. On sait que c'est mauvais signe pour le canard, c'est tout. Il a tout de même réussi à attraper une poule pour l'hypnotiser. Inutile mais impressionnant. Enfin, il était content, quoi, et c'est ce qui compte. Je vous ai déjà parlé de sa rencontre avec les lémuriens, on ne va pas plus loin, il se frotte partout désormais. Il a un côté moqueur qui n'est pas fait pour me déplaire. De la bonne grosse vanne bavaroise à se taper la cuisse, du bon lourd foutage de gueule saxon, gratuit mais partagé. Deux heures à ses côtés dans une pirogue ont fini de me charmer. Nous venions de finir un repas riz-langoustes arrosé de THB, le tout sur des feuilles de bananiers. Les vapeurs de la bière, le balancement de la pirogue, je ne sais pas, la beauté environnante peut être, le tout sans doute, nous ont emporté dans un tourbillon de débilités aussi profondes que l'océan d'à côté que nous avons déversé par centaines dans le canal en regardant les pagaies plonger dans l'eau. Tout le monde était heureux sur cette pirogue, et ce n'était pas notre faute.
Manakara a encore une fois tenu ses promesses, nous offrant un séjour à base de langoustes hallucinogènes, de poissons hilarants et de rhums arrangés aussi nombreux que dérangeant. Un brin de laisser-aller, une dose de légèreté et une pincée germanique donc, devrait suffire à aborder le prochain weekend, le dernier d'ailleurs, pour cette fois-ci. Une poignée de Belges et une petite touche Malgache devraient venir se mêler à tout ça. Rajoutez une note parisienne, plutôt un sol, lourd mais chantant, pour allumer la mèche. Attendez...